L'eau : la roue et le mouvement

Pour faire fonctionner un moulin à papier, il faut évidemment de l’eau. Un jésuite Auvergnat du XVIIe siècle, le père Imberdis, écrivait : « Choisissez une région au climat doux et tempéré, car l’eau du ruisseau ne doit pas geler l’hiver ni se tarir l’été. »

A propos de la qualité de l’eau il ajoutait : « Je tiens pour la meilleure celle dont le cristal pur et transparent laisse apercevoir le plus petit grain de sable sous sa profondeur. »

De ce point de vue la Sorgue offre évidemment toutes les garanties. Au XVIIIe siècle on comptait à Fontaine-de-Vaucluse jusqu’à quatre moulins à papier..

L’eau, est à la fois l’énergie du moulin et la chimie du papier. Acheminée par le bief, étroit canal en bois ou en métal, elle s’écoule « par-dessous » la roue, poussant ses aubes (pales en bois) et la fait tourner. La roue du moulin de Vallis Clausa mesure 7 mètres de diamètre pour 2 mètres de large et comporte 48 pales.

L'arbre à cames

L’arbre à cames, poutre cylindrique de 6 mètres de long entrainée par une courroie depuis l’axe de la roue, actionne les maillets en tournant sur lui-même.

Il est muni de cames, ergots saillants qui viennent heurter le bas du manche des maillet et les soulèvent. Les maillets retombent de leur propre poids et écrasent les chiffons contenus dans la pile. Pour chaque maillet il y a 4 cames.

Tout le long de l’arbre, ces ergots sont disposés de façon à ce que tous les maillets ne se lèvent pas en même temps. Ils frappent l’un après l’autre.

Le maillet

C’est un énorme marteau en sapin de 75kg. Son manche, la queue de maillet, prend appui sur un socle, la grippe arrière. Sa base est traversée par un axe qui lui permet de pivoter verticalement.

A l’autre bout de ce manche se trouve l’éperon, pièce métal que la canne vient frapper. Le marteau se lève alors. Sous le maillet même, qui fait un mètre de long, des clous vont broyer le contenu de la pile.

Chaque fois que ce marteau retombe, le haut du manche vient sur un autre guide, la grippe avant, qui lui sert de rail pour éviter tout mouvement latéral.

A noter : le maillet n’est pas tout à fait perpendiculaire à son manche, ainsi, lorsqu’il frappe, il imprime à la bouillie de chiffons une rotation qu’on pourrait comparer à celle que fait subir le pâtissier à sa pâte à tarte.

Les piles à maillets

Il y en a 5 à Vallis Clausa. Elles sont creusées à la main dans du granit.

Dans chaque pile, 15kg environ de chiffons mêlés à de l’eau vont devenir une pâte, passant d’une auge à l’autre.

Pour chaque pile trois maillets frappent alternativement, ce qui permet à la pâte d’être brassée. Au fond des auges se trouvent deux pièces : l’une tout au fond est en bois (hêtre), c’est la fausse platine ; l’autre, posée par-dessus, est en acier. C’est la platine. Cet ensemble va supporter des heures durant le pilonnage du maillet.

Dans la pile, la circulation d’eau est continuelle. Une sorte de bonde de fond, le "kas", permet l’évacuation des eaux de lavage des chiffons.

Le broyage dans les piles à maillets dure de 24 à 36 heures.

Les matières premières

La matière première c’est le chiffon de chanvre, de coton ou de lin.

Autrefois ces tissus subissaient un pourrissage durant quelques semaines, afin d’amollir les fibres. Cette opération n’est plus pratiquée aujourd’hui, et les chiffons vont directement au dérompoir où un ouvrier les découpe en fines bandes sur une lame de faux et les débarrasse de toute impureté (boutons, élastiques…)

Les paniers remplis de chiffe, c’est-à-dire de minces bouts d’étoffe, sont amenés dans ce que l’on peut considérer comme le cœur du moulin : la salle des piles à maillets. C’est ici que la magie va opérer : de la chiffe entre, de la pâte à papier ressort.

La mise en oeuvre

Les bouts de chiffons mélangés à de l’eau vont passer successivement dans chacune des cinq piles et au bout de 24 à 36 heures, on obtient une pâte assez grossière.

Pour l’affiner, on la passe dans un autre type de pile dite « pile hollandaise ». Ce système, inventé au XVIIIe siècle en Hollande, offre l’avantage de supprimer le pourrissage. La pile hollandaise est une cuve en fonte ovale dans laquelle tourne un cylindre muni de lames qui déchiquettent pendant 1h30 la chiffe tout en assurant une circulation d’eau. Cette invention est un progrès car non seulement elle évite l’étape du pourrissage, mais elle permet d’obtenir un papier plus fin et plus lisse.

A titre indicatif, 4 piles à maillets peuvent battre 700 coups à la minute alors que dans la pile hollandaise on peut compter entre 50 et 100 000 coups de lame par minute !

A Vallis Clausa ces deux systèmes sont utilisés de façon complémentaire.

Dans la pile hollandaise on peut ajouter à la pâte des fibres d’eucalyptus, pin et linters (coton), qui, grâce à leurs caractéristiques, améliorent la texture du papier.

On y met aussi de la colle à base de résine naturelle pour éviter que le papier en séchant reste absorbant comme du buvard. 

La forme

Enfin, la pâte est transvasée dans une cuve en cuivre.

Elle est blanche, relativement liquide, et maintenue homogène grâce à un brassage. Éventuellement il y sera ajouté des pétales de fleurs, des feuilles de fougères, des graminées et bien d’autres produits naturels soigneusement sélectionnés.

L’art de l’ouvreur, l’ouvrier papetier, peut alors s’exercer !

Appuyé contre le rebord de la cuve, après avoir bien remué cette pâte à l’aide du redable, l’ouvreur immerge une forme (sorte de tamis) au format de la future feuille dans le liquide.

Cette forme est composée de deux parties. Le châssis de bois rectangulaire sur lequel est tendue une trame serrée de fils métalliques soutenue par des baguettes de bois. L’autre partie est la couverte : un cadre de bois qui s’ajuste sur le châssis. Les rebords de la couverte retiennent la pâte fluide et, de ce fait, leur hauteur détermine l’épaisseur et le format de la future feuille. Sur ce treillis métallique, le papetier coud le filigrane, marque du moulin, et, éventuellement, un tranche-pâte (fil de laiton ou ficelle) qui permettra de partager la feuille plus facilement après le séchage.

L'ouvrage

Cette immersion est tout un art ! L’ouvreur puise dans le liquide épais, lui fait subir un mouvement de vague, puis une succession de va-et-vient de manière à enchevêtrer les fibres.

Après un bref égouttage il peut enlever la couverte : la feuille a pris forme.

Le couchage

C’est l’ouvrier coucheur qui prend la suite. Il saisit la forme et la retourne pour déposer la feuille sur un tapis de feutre de laine. Il va ainsi constituer une pile de 100 à 250 feuilles alternées chacune avec une couche de feutre. Cette pile, appelée porse, va passer sous une presse.

La presse

On peut voir à Vallis Clausa une ancienne presse qu’on actionnait grâce à un cabestan nécessitant quatre hommes.

A ce système assez dangereux on préfère aujourd’hui l’utilisation d’une presse hydraulique, de surcroît plus efficace (40 à 60 % de l’eau évacuée).

Levage de la feuille et l'étendage

Une fois la porse pressée, le leveur sépare les feuilles de papier des feutres. Action délicate car ces feuilles encore très humides sont fragiles..

Il reste ensuite à monter à l’étendoir et déposer les feuilles à cheval sur des centaines de mètres de corde à l’aide du frelet. Le séchage dure entre un et trois jours.

L’opération terminée on reconstitue une nouvelle pile de feuilles. Cela est nécessaire car au séchage, le papier s’est gondolé. Il faut donc maintenir cette nouvelle pile à plat pendant 4 jours avec un poids afin que ces ondulations disparaissent peu à peu.

Ensuite, chaque feuille passe au laminage. Autrefois les laminoirs n’existaient pas dans les moulins à papier. On employait des ouvrières, les lisseuses, qui polissaient chaque feuille avec une pierre de silex. Cela permettait d’avoir un papier parfait pour l’écriture. La technique du laminage a supprimé ce métier.

La fabrication est terminée. Il ne reste plus qu’à trier ces feuilles une par une, les empaqueter ou les imprimer, et les porter chez l’enlumineur qui les décorera par la technique du pochoir. 

Les plus belles feuilles sélectionnées resteront en l’état pour servir aux calligraphes, peintres, éditeurs, aquarellistes… Ou bien seront transformées en papier à lettre, cartes de visite, de correspondance, faire-part, cartes de vœux, abat-jour…